German Centre for Integrative Biodiversity Research (iDiv)
Halle-Jena-Leipzig
 
04.02.2021 | Français

L’évolution de la diversité de la faune du sol dans le temps

Figure 1 : Isolation des invertébrés du sol pour étude. Un entonnoir Berlese-Tullgren typique, nommé d’après ses inventeurs. L’échantillon est placé en haut de l’entonnoir, soutenu par un filet. Une ampoule chauffe et assèche le sol, forçant les organismes à se déplacer en profondeur. Lorsqu’ils quittent l’échantillon, ils tombent dans un bac de récupération, souvent rempli d’une substance leur permettant de rester en vie. Ensuite, les organismes peuvent être étudiés.

Figure 2 : Migration verticale des larves de coléoptères, selon la profondeur du sol et la saison. En été, les larves sont aussi nombreuses en surface qu’en profondeur, mais en hiver, elles sont bien plus nombreuses à la surface, où elles peuvent se nourrir des restes de feuilles sans être affectées par le climat chaud et sec de l’été.

Figure 3 : Les écosystèmes évoluent et grandissent. Dans les années 50 (haut), les communautés d’Oribatida étaient plus nombreuses et plus diversifiées en forêt que dans les terres agricoles. Après l’abandon de ces terres (milieu), les individus de certaines espèces de la forêt sont arrivés dans les terres agricoles à proximité, notamment par dispersion passive (flèches). Enfin, la disparition (flèche discontinue) de certaines espèces qui avaient sans doute besoin d’un sol plus développé a engendré les différences actuelles entre les trois types de forêts (bas).

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Enrique Doblas-Miranda *1
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CREAF, Bellaterra (Cerdanyola del Vallès), Barcelone, Espagne

Les animaux qui vivent sous nos pieds ne sont pas immobiles. Ils sont capables de se déplacer (vers beaucoup d’espaces, puisque le sol est un espace en 3D !) et d’évoluer (p. ex. d’un cocon à un état actif). Ainsi, entre l’hiver et l’été, entre une journée ensoleillée et une nuit glaciale, le sol situé sous un point géographique donné n’accueille pas la même communauté. Par exemple, nos recherches sur les larves de carabidés ont montré des mouvements verticaux saisonniers qu’elles effectuent afin de trouver de meilleures conditions de vie. En outre, le sol change énormément pendant sa propre formation, ce qui implique un changement de ses habitants. Dans le cas des Oribatida, un groupe minuscule, mais très varié de mites de sol, les scientifiques ont observé des changements dans la communauté allant de 12 ans à plusieurs centaines d’années ! De nombreuses études ont démontré un principe simple, mais puissant : les écosystèmes ne sont pas de belles photographies immobiles, ce sont des environnements très dynamiques.

LES ÉCOSYSTÈMES NE SONT PAS IMMOBILES

Lorsque nous imaginons la diversité d’un écosystème, nous pensons souvent à un environnement stable et immuable dans lequel les espèces végétales et animales vivent de manière « gelée », comme une photographie dans un livre. Dans nos esprits (et dans beaucoup de livres), les plantes sont systématiquement représentées comme à disposition des herbivores, tandis que ces derniers attendent d’être dévorés par les carnivores, le tout sous un magnifique soleil. Mais la réalité est tout autre ! La majorité des animaux d’un écosystème se déplace pendant la journée, tandis que d’autres ne vivent que la nuit. Selon la saison, les plantes produisent différentes parties comestibles. L’écosystème tout entier peut même changer suite à une catastrophe naturelle, un feu de forêt par exemple. Sans oublier que nous imaginons rarement la diversité réelle du sol situé sous nos pieds.

COMMENT ÉVOLUE LE SOL ?

Bien entendu, la biodiversité du sol change avec le temps, bien que ces évolutions soient différentes de celles qui ont lieu en surface. Tout d’abord, il est bien plus difficile de se déplacer dans le sol. Les vers de terre, larves d’insectes, Gryllotalpidae (ainsi que les taupes, mais concentrons-nous sur les petits invertébrés) et autres petits êtres vivants doivent creuser avec leurs mâchoires, leurs griffes ou leurs pattes. Ces créatures se déplacent dans le sol en s’aidant notamment des petits espaces remplis d’air, que nous appelons l’espace poreux du sol

Les habitants du sol ne se limitent cependant pas aux mouvements horizontaux typiques des espèces animales vivant en surface. Les invertébrés du sol peuvent également se déplacer verticalement dans une même zone de surface, ce qu’on appelle la migration verticale. Ces migrations peuvent avoir lieu aussi bien sur une seule journée que pendant toute une saison. Les Enchytraeidae, qui sont de tout petits vers, font partie des rares espèces animales habitant le sol dont nous avons pu observer la migration diurne. Ils se déplacent dans les profondeurs du sol pour fuir la sécheresse en surface aux alentours de midi, puis remontent le soir, lorsque l’humidité revient. Cette migration est un pilier de l’une des méthodes les plus utilisées pour étudier la mésofaune du sol. Elle consiste à assécher un échantillon de sol dans un entonnoir surmonté d’une ampoule, afin que les êtres vivants « fuient » et tombent dans un récipient de récupération situé en dessous (Figure 1).

De nombreux invertébrés du sol existent sous une forme résistante qui leur permet de survivre dans des conditions très difficiles pendant très longtemps. Les Margarodidae, de petits insectes ronds et fascinants, en sont un parfait exemple. Ils peuvent sécréter une substance nacrée dont ils se recouvrent, formant un kyste sphérique. Appelé « repos », cet état peut durer des décennies ! Cependant, lorsque d’alléchantes racines sont disponibles, les kystes se développent pour devenir des adultes insatiables. Si les conditions sont optimales, beaucoup d’espèces de Margarodidae ont la capacité de se cloner pour profiter au maximum de ces conditions favorables. Un viticulteur malchanceux pourrait ne pas remarquer leur présence la première année, mais voir ses cultures infestées par des adultes l’année suivante.

En surface, beaucoup de petits animaux peuvent être emportés par le vent, l’eau ou même d’autres animaux. Certaines espèces habitant en surface se déplacent ainsi : c’est la dispersion passive de la faune du sol. Elle a beaucoup attiré l’attention des recherches récemment, car elle peut expliquer les déplacements des organismes du sol sur de grandes distances.

ÉVOLUTIONS SAISONNIÈRES

Durant mes premières années en tant que chercheur, nous ne comprenions pas aussi bien les mouvements des organismes du sol autant qu’aujourd’hui, et chaque découverte était fascinante, y compris quand nous avons découvert que certaines larves d’insectes vivant dans le sol migrent verticalement [3] !

Des échantillons de sol ont été récupérés chaque mois pendant deux ans, dans une fruticée désertique au sud de l’Espagne. Ils ont été collectés à différentes profondeurs, depuis la surface jusqu’à 50 cm de profondeur. Pour chaque échantillon, tous les macroinvertébrés étaient comptés et identifiés. Après analyse des échantillons de chaque saison et de chaque profondeur, les scientifiques ont découvert que les larves d’une famille de coléoptères très répandue et se nourrissant de restes organiques, les Ténébrionides, effectuaient le même mouvement chaque année. Nous les trouvions en plus grand nombre à la surface en hiver, contrairement à l’été (Figure 2).

Dans la zone étudiée, les étés sont très chauds et secs. Cependant, le repas préféré des Ténébrionides, les déchets organiques, se trouve dans de « restaurants » de surface exposés au soleil, comme les arbustes et les fourmilières. Ces larves de coléoptères préfèrent donc dévorer les déchets organiques en surface pendant le climat doux de l’hiver, et se contentent de « restaurants » plus en profondeur l’été, comme les racines en décomposition. Lorsque les larves effectuent cette migration verticale, elles rendent également un grand service à tout l’écosystème. Tout comme les vers de terre dans les écosystèmes plus humides, ces larves résistantes déplacent le sol dans les environnements arides, permettant à l’air, à l’eau et aux matières organiques de se mélanger avec le sol, ce qui lui est très bénéfique.

LES ÉCOSYSTÈMES GRANDISSENT… ET VIEILLISSENT !

Les changements météorologiques et la disponibilité de la nourriture ne sont pas les seuls facteurs d’évolution des écosystèmes. En fait, un écosystème tout entier peut changer à l’occasion d’un processus appelé la succession écologique. Les scientifiques ont étudié la manière dont la diversité des espèces animales du sol évolue avec la succession écologique, en se concentrant sur un groupe de mites de sol appelé Oribatida. Les Oribatida sont petites, nombreuses et diversifiées, ce qui signifie que vous pouvez en trouver une communauté entière dans un petit échantillon de sol. Il existe également de nombreuses ressources permettant d’identifier les différentes espèces d’Oribatida. Elles sont donc un organisme idéal à observer pour étudier les changements dans la diversité des écosystèmes du sol. De plus, la mobilité des Oribatida est assez limitée, puisqu’elles vivent en profondeur et doivent se déplacer à l’aide de l’espace poreux, et plus occasionnellement par dispersion passive. Les communautés d’Oribatida se développent donc principalement lors du processus de succession écologique.

Dans une étude récente, les scientifiques ont effectué une chronoséquence de forêts qui repoussent après l’abandon des terres agricoles. Ils souhaitaient savoir si des forêts similaires d’âges différents abritent les mêmes communautés dans leur sol. Leur hypothèse était que les terres agricoles accueillent probablement quelques espèces d’Oribatida en petit nombre, mais que les communautés complexes très diversifiées se développent dans les forêts plus anciennes. En comparant les photographies aériennes actuelles avec d’autres des années 50, les scientifiques ont pu déterminer les zones qui avaient été des forêts dans les années 50 (forêts anciennes) et celles qui avaient été des terres agricoles (jeunes forêts). Parmi les jeunes forêts, nous avons également distingué les forêts isolées (entourées principalement de terres agricoles et abritant des communautés d’Oribatida similaires à celles trouvées dans les terres agricoles) et les forêts reliées à d’autres (accueillant probablement des communautés d’Oribatida similaires à celles trouvées dans les forêts anciennes).

Les scientifiques ont observé deux résultats majeurs. D’abord, les forêts anciennes et jeunes reliées à d’autres présentaient un nombre similaire d’espèces d’Oribatida et de plus grandes communautés par rapport aux forêts isolées. Ensuite, les communautés d’Oribatida des jeunes forêts isolées ou reliées abritaient davantage d’espèces que les forêts anciennes (Figure 3, en bas). Il est probable que les Oribatida se répandent par dispersion passive au début du développement de l’écosystème. Ceci peut expliquer pourquoi les jeunes forêts reliées à d’anciennes forêts présentent rapidement des communautés d’Oribatida similaires aux forêts anciennes. Toutefois, comme l’écosystème de la jeune forêt continue de se développer, le manque de refuge et d’accès à la nourriture peut empêcher certaines espèces d’Oribatida de s’installer définitivement ici. Ceci pourrait expliquer pourquoi les communautés d’Oribatida des jeunes forêts reliées ressemblent davantage à celles des forêts isolées, et donc à celles des terres agricoles (Figure 3).

Les écosystèmes ne font pas que « grandir », ils peuvent aussi « vieillir » si aucune perturbation majeure telle qu’un incendie n’a lieu. Les scientifiques ont étudié le vieillissement de l’écosystème des forêts boréales canadiennes [4]. Ils ont échantillonné des Oribatida dans une chronoséquence basée sur le temps écoulé depuis le dernier feu de forêt, estimé à partir de cartes vieilles de 100 ans, de cernes d’arbres âgés jusqu’à 200 ans ainsi que d’une datation chimique du sol profond, remontant jusqu’à 700 ans ! Bien que la quantité d’Oribatida ait été considérablement réduite pendant les 200 premières années du développement de la forêt après le dernier feu, le nombre d’espèces n’en a pas été influencé avant les dernières étapes du vieillissement de la forêt. Cela signifie que la raréfaction progressive des nutriments comme le phosphore et l’azote ne pouvait pas permettre la survie de grandes populations, et plus tard, celle d’espèces entières. Les scientifiques ont également étudié des échantillons de sol dont l’exposition à la lumière était variable et ont découvert que les Oribatida habitant sous les troncs étaient moins nombreuses que celles vivant dans le sol exposé au soleil, mais leur population était cependant stable. En conclusion, les Oribatida vivant dans les sols exposés à la lumière étaient davantage influencées par le vieillissement, sans doute à cause d’une raréfaction progressive des restes de feuilles.

LES ÉCOSYSTÈMES SONT COMME DE PRÉCIEUX FILMS

J’espère que maintenant, lorsque vous pensez à la diversité de l’écosystème d’une forêt, vous imaginez plus qu’une image fixe, puisqu’elle abrite tous ces êtres vivants qui évoluent et se déplacent, qui apparaissent et disparaissent… J’espère aussi que vous pensez aux petites bêtes qui habitent le sol sur lequel nous marchons ! Les écosystèmes ne sont pas immobiles. Ce sont des scénarios vivants très dynamiques dans le temps. Les différentes petites bêtes peuplant le sol évoluent avec les écosystèmes, grâce à de nombreuses et fascinantes stratégies. Les êtres vivants que l’on trouve dans le sol sont essentiels à l’écosystème, puisqu’ils garantissent la santé du sol et jouent un rôle majeur dans le recyclage des feuilles et des racines mortes, un processus qui aide à limiter le réchauffement climatique et contribue à la santé de notre planète.

GLOSSAIRE

Biodiversité du sol
Ensemble des êtres vivants peuplant le sol.

Espace poreux du sol
Espace extrêmement petit (moins de 0,075 mm) dans la structure solide du sol, rempli principalement d’air et d’eau [2].

Mésofaune du sol
Habitants du sol de taille inférieure à 2 mm, comme les collemboles, les mites ou les petits vers [1].

Invertébrés
Espèces animales sans os. Dans le sol, il s’agit principalement de vers et d’arthropodes (myriapodes, cloportes, insectes, araignées, etc.). 

Macroinvertébrés
Organismes du sol mesurant entre 2 mm et 2 cm, comme les coléoptères, leurs larves, les vers de terre et les petits vers. [1]

Succession écologique
Processus par lequel les écosystèmes « naissent » et « grandissent » après la création de nouvelles surfaces, comme les récifs coralliens ou les sols révélés par la fonte des glaces, ou la manière qu’ils ont de « renaître » après des perturbations telles que les feux de forêt.

Chronoséquence
Groupe d’écosystèmes étudiés simultanément, qui sont similaires dans leur formation, leurs espèces végétales et leur zone géographique, mais diffèrent par leur âge. Étudier des écosystèmes en chronoséquence est nécessaire, car nous ne pouvons pas attendre des décennies pour échantillonner un écosystème en plein développement. 

 

BIBLIOGRAPHIE

[1] Nielsen, U. (Ed.). 2019. “Soil and its fauna,” in Soil Fauna Assemblages: Global to Local Scales (Cambridge: Cambridge University Press). p. 1–41. doi: 10.1017/9781108123518.002

[2] Orgiazzi, A., Bardgett, R. D., Barrios, E., Behan-Pelletier, V., Briones, M. J. I., Chotte, J. L. et al. (Eds.). 2016. Global Soil Biodiversity Atlas. Luxembourg: Office des publications de l’Union européenne.

[3] Doblas-Miranda, E., Sánchez-Piñero, F., and González-Megías, A. 2009. Vertical distribution of soil macrofauna in an arid ecosystem: are litter and belowground compartmentalized habitats? Pedobiologia 52:361–73. doi: 10.1016/j.pedobi.2008.11.006

[4] Doblas-Miranda, E., and Work, T. T. 2015. Localized effects of coarse woody material on soil oribatid communities diminish over 700 years of stand development in black-spruce-feathermoss forests. Forests 6:914–28. doi: 10.3390/f6040914

 

TRADUIT ET ADAPTÉ DE : Helen Phillips, German Centre for Integrative Biodiversity Research (iDiv), Germany

CITATION : Doblas-Miranda E (2021) Soil Ecosystems Change With Time. Front. Young Minds. 9:543498. doi: 10.3389/frym.2021.543498

CONFLIT D’INTÉRÊTS : les auteurs et autrices déclarent que les travaux de recherche ont été menés en l’absence de toute relation commerciale ou financière pouvant être interprétée comme un potentiel conflit d’intérêts.

COPYRIGHT © 2021 Doblas-Miranda. This is an open-access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (CC BY). The use, distribution or reproduction in other forums is permitted, provided the original author(s) and the copyright owner(s) are credited and that the original publication in this journal is cited, in accordance with accepted academic practice. No use, distribution or reproduction is permitted which does not comply with these terms.

 

JEUNES EXAMINATEURS/TRICES

RUTENDO, ÂGE : 14
Je suis née au Zimbabwe et j’ai deux frères et une sœur. J’aime les maths, lire des livres et écouter de la musique. Quand je serai grande, je veux devenir médecin, scientifique, psychologue ou archéologue.

NOKUTENDA, ÂGE : 14
Mes centres d’intérêt sont surtout la cuisine et le dessin (d’inspiration japonaise). J'aimerais devenir cheffe cuisinière quand je serai grande. J’aime aussi les arts créatifs. Sur mon temps libre, j’aime beaucoup dessiner ce que mon esprit exprime. Parfois, j’essaie de trouver du temps pour lire des romans fantastiques.

AUTEUR

ENRIQUE DOBLAS-MIRANDA
Enrique est titulaire d’un doctorat en biologie et chercheur au CREAF. Il s’intéresse également à la coopération internationale et a été responsable du projet euro-méditerranéen MENFRI, sur la base duquel il a fondé une organisation scellant des partenariats pour surmonter les défis complexes du développement et de l’environnement. Enrique a contribué aux recherches sur la résilience et la gestion des paysages face aux changements internationaux et poursuit son travail de recherche sur les variations de la biodiversité des écosystèmes dans le temps. Grâce à différentes communautés d’invertébrés peuplant le sol, Enrique a étudié la dynamique des forêts et des terres agricoles d’Espagne, de Nouvelle-Zélande et du Canada. *e.doblas@creaf.uab.cat

TRADUCTRICE

ALYSSA LARGES

FUNDING (TRANSLATION)

The team Translating Soil Biodiversity acknowledges support of the German Centre for integrative Biodiversity Research (iDiv) Halle-Jena-Leipzig funded by the German Research Foundation (DFG FZT 118, 202548816).

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