German Centre for Integrative Biodiversity Research (iDiv)
Halle-Jena-Leipzig
 
16.11.2020 | Français

À la recherche de vers de terre dans le bois mort

Figure 1 : Un ver de terre épigé trouvé dans du bois mort. La bande claire (ou « selle ») située vers l’extrémité de la tête (à droite) nous indique qu’il s’agit d’un ver de terre adulte.

Figure 2 : Échantillonnage de vers de terre sur une parcelle de forêt de chênes. Les lignes blanches en pointillés sur le bois mort indiquent les sections divisées en plusieurs parties. Nous mesurions la longueur totale et le diamètre médian du bois mort se trouvant à l’intérieur de la parcelle et faisant plus de 10 cm de diamètre (en gris foncé), et nous prélevions cinq morceaux au hasard, avec un degré de décomposition intermédiaire ou avancée, dans le but d’y trouver des vers de terre. Le bois mort dont le diamètre était inférieur à 10 cm ou se trouvant en dehors de la parcelle était exclu de l’étude (en gris clair). Des échantillons issus de cinq fosses pédologiques de 0,1 m² (indiquées par des croix) étaient prélevés pour y chercher des lombrics vivant dans le sol.

Figure 3 : Récapitulatif des résultats de l’étude des vers de terre dans le sol et dans le bois mort des forêts de chênes.

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Frank Ashwooda*, Elena I. Vanguelovaa, Sue Benhama et Kevin R. Buttb

a Centre Alice Holt, Forest Research, Farnham, Surrey, Royaume-Uni, GU10 4LH
b Groupe de recherche sur le ver de terre, Université du Lancashire central, Preston, Royaume-Uni, PR1 2HE

Les branches tombées, les rondins et les souches d’arbre constituent un habitat précieux dans les forêts, offrant nourriture et refuge à de nombreux organismes, notamment aux vers de terre. Malheureusement, le bois mort est souvent évacué des forêts, car sa valeur est sous-estimée. Notre objectif était de pallier ce problème en développant une méthode d’échantillonnage des vers de terre logés dans le bois mort des forêts. En testant notre nouvelle méthode dans des forêts de chênes, nous avons découvert qu’inclure le bois mort dans les études portant sur les vers de terre nous permettait d’en apprendre davantage sur les populations lombriciennes des forêts. De plus, nous avons trouvé davantage de jeunes vers de terre dans le bois mort que dans les sols, la température et le taux d’humidité y étant plus élevés. Nous intéresser au bois mort dans l’étude d’invertébrés tels que les vers de terre peut nous permettre de mieux saisir l’importance de laisser ce bois dans les forêts pour préserver la biodiversité.

DES VERS DE TERRE DANS LES ARBRES ?

Les vers de terre jouent un rôle important dans la préservation d’écosystèmes sains. En effet, ils creusent des galeries permettant à l’air et à l’eau de pénétrer dans le sol, et décomposent les débris végétaux morts, en recyclant leurs nutriments dans l’environnement. Mais les lombrics ne vivent pas que dans la terre. On peut en trouver dans toutes sortes d’endroits surprenants, jusqu’en haut des arbres et à l’intérieur des rondins ! On appelle les rondins et les arbres tombés bois mort. Ils constituent un habitat important pour de très nombreux types de vers de terre, car ils leur fournissent un abri et de la nourriture (figure 1). Il existe trois grands groupes de vers de terre : les épigés (qui vivent à la surface du sol), les endogés (qui creusent des galeries peu profondes dans le sol), et les anéciques (qui creusent des galeries profondes sous terre) [1]. Dans une forêt, les populations de vers de terre peuvent influer sur la vitesse de décomposition du bois mort, avec différents groupes et espèces plus ou moins importants à chaque étape du processus [2]. Ce bois en décomposition est une source de nutriments et de matière organique (des composés organiques issus des restes d’organismes tels que les plantes), et sa dégradation est importante pour la conservation de sols forestiers sains.

LE BOIS MORT : UN HABITAT IMPORTANT, MAIS SOUS-ÉTUDIÉ

Bien que le bois mort constitue une source essentielle de matière organique des sols ainsi qu’un habitat important, il est souvent évacué des forêts lorsque les arbres sont abattus pour la production de bois de construction et de chauffage, ce qui fait courir un risque d’extinction à de nombreuses espèces animales [3]. Il est important de protéger la biodiversité forestière. La biodiversité correspond à la variété de vie dans un habitat ; et nous dépendons des services fournis par les forêts saines et à la biodiversité riche, notamment le stockage du carbone et la protection des sols. Plus nous pouvons en savoir sur l’ampleur de la biodiversité présente dans le bois mort, mieux nous pouvons

saisir l’importance de le laisser dans les forêts. Nous ne connaissons pas la liste complète des espèces de vers de terre vivant dans le bois mort, car il n’existe pas encore de méthode scientifique pour les chercher à cet endroit. Les études portant sur les vers de terre ne se concentrent habituellement que sur le sol et peuvent oublier les vers de terre occupant d’autres lieux. Développer une méthodologie de recherche de vers de terre dans le bois mort peut nous permettre d’en savoir plus sur le cycle de vie des lombrics et, peut-être, démontrer l’importance de la conservation du bois mort dans les forêts. L’objectif principal de notre projet était de développer et de tester une méthode de recherche de vers de terre dans le bois mort. Pour nous rendre compte du niveau d’efficacité de notre méthode, nous avons comparé nos résultats relatifs au bois mort à ceux issus d’une étude classique des vers de terre vivant dans les sols.

LA RECHERCHE DE VERS DE TERRE DANS LE BOIS MORT

Afin de tester notre méthode, nous nous sommes rendus dans 12 forêts de chênes pédonculés (Quercus robur) du Surrey, au Royaume-Uni, dans lesquelles nous avons systématiquement délimité une parcelle de 10 x 10 m² (figure 2). Pour chaque parcelle, nous notions le volume total de bois mort et tentions de déterminer à quelle espèce d’arbre ce bois mort appartenait. Nous estimions également le stade de décomposition du bois mort, selon un système de classification allant de 1 à 5 – 1 renvoyant au degré de décomposition minimal (avec une chute très récente) et 5 au degré de décomposition maximal (avec un bois mort totalement décomposé dans le sol). Les petites branches ne comportant que très peu de vers de terre en leur sein, nous sélectionnions cinq morceaux de bois mort d’un diamètre supérieur à 10 cm et ayant atteint un degré de décomposition intermédiaire ou avancée (avec une écorce se décollant et un bois commençant à se ramollir). Nous analysions le bois mort après l’avoir placé sur une bâche, en mesurant sa longueur et son diamètre, dans l’optique de calculer son volume. La température du bois mort était évaluée à l’aide d’un thermomètre numérique de cuisine, inséré sous les parties d’écorce lâches. Ensuite, nous retirions la mousse et l’écorce détachée pour les inspecter à la recherche de vers de terre, tandis que le reste du bois était examiné à part. Une fois tous les vers de terre récupérés, nous remettions le bois mort à son emplacement initial, après y avoir repositionné au mieux la mousse et l’écorce décollée.

LA RECHERCHE DE VERS DE TERRE DANS LE SOL

Nous avons également prélevé des échantillons de terre à la recherche de lombrics, d’après une méthode standard. Pour ce faire, nous creusions des fosses pédologiques (de 30 x 30 cm de largeur et de 10 cm de profondeur) à cinq endroits de la parcelle (Figure 2). D’abord, nous mettions la terre sur la bâche pour récupérer les vers de terre à la main, puis versions 5 litres d’eau de moutarde (un mélange composé de 25 g de poudre de moutarde de table et de 5 litres d’eau) dans chaque fosse pédologique, afin d’en extraire des vers de terre creusant des galeries profondes – qui peuvent faire jusqu’à 2 m de profondeur ! En effet, la poudre de moutarde irrite la peau des vers de terre et les pousse à remonter à la surface. L’humidité de la terre et sa température étaient également mesurées. Une fois tous les vers de terre récupérés, nous remettions la terre dans les trous. L’ensemble des vers de terre issus du bois mort et de la terre étaient conservés dans de l’alcool et pesés, puis chaque espèce était identifiée à l’aide d’un microscope et d’un guide d’identification des lombrics [4].

CE QUE NOTRE ÉTUDE A RÉVÉLÉ

Au total, nous avons trouvé 1012 vers de terre et 13 espèces de lombrics distinctes. Le nombre d’espèces de vers de terre trouvées dans la terre diffère de celui des lombrics trouvés dans le bois mort : nous avons trouvé 7 espèces dans le bois et 12 espèces dans le sol (Figure 3). Une espèce, Eisenia fetida, a uniquement été relevée dans le bois mort. Il s’agit d’un ver de terre épigé que l’on trouve souvent dans les tas de compost. Six espèces ont été trouvées dans la terre, à savoir deux espèces d’épigés, trois espèces d’endogés et une espèce d’anéciques. Toutes les autres espèces de lombrics étaient présentes à la fois dans le bois mort et dans le sol. Nous avons trouvé bien plus de vers de terre juvéniles (jeunes) dans le bois mort que dans la terre – le bois étant beaucoup plus humide que cette dernière, mais aussi plus chaud d’environ 1 °C. L’abondance (le nombre d’individus) et la biomasse (la masse de l’ensemble des vers de terre) totales des lombrics étaient bien plus importantes dans la terre que dans le bois mort (Figure 3). En moyenne, l’inspection du bois mort a permis de trouver 81 vers de terre supplémentaires et une biomasse lombricienne de 209 g par parcelle forestière de 10 m².

 

L’INTÉRÊT D’ÉTUDIER LE BOIS MORT

Inclure le bois mort dans notre étude sur les vers de terre des forêts nous a permis de relever une plus grande abondance de lombrics et davantage d’espèces de vers de terre que nous n’en aurions trouvé en nous concentrant sur la terre. Les populations de lombrics juvéniles se sont avérées bien plus importantes dans le bois mort, où les conditions thermiques et d’humidité sont plus favorables. Les vers de terre sont très sensibles aux grands écarts de températures et d’humidité. Par conséquent, se protéger dans le bois en décomposition permet aux lombrics de rester actifs toute l’année, notamment lors de la sécheresse estivale et du grand froid hivernal. Ainsi, retirer le bois mort des forêts peut affecter négativement de nombreuses espèces de vers de terre qui s’en servent pour se réfugier et se nourrir. D’après nos conclusions, nous pouvons affirmer qu’une étude des vers de terre des forêts ne prenant pas en compte le bois mort est susceptible de sous-estimer les populations de vers de terre, et que celles-ci seraient moins importantes dans les forêts sans bois mort. Développée, notre méthode de recherche pourrait être utilisée pour étudier d’autres invertébrés vivant dans le bois mort et jouant un rôle important, tels que les insectes [3]. Nous espérons que ces connaissances pourront être mises à profit pour améliorer les pratiques de gestion forestière et mettre un terme au retrait du bois mort, afin de protéger la biodiversité des forêts.

GLOSSAIRE

Bois mort
Dans les forêts, matière ligneuse qui ne vit plus, notamment les branches tombées, les rondins, les souches, et les arbres morts encore debout.

Endogé
Type de ver de terre creusant des galeries peu profondes et verticales et se nourrissant de terre.

Épigé
Type de ver de terre vivant à la surface du sol, dans des habitats riches en matière organique tels que les litières de feuilles.

Anécique
Type de ver de terre creusant de profondes galeries verticales et se nourrissant de matière organique à la surface du sol.

Matière organique
Matière constituée de composés organiques issus des restes d’organismes tels que des plantes et des animaux. 

Biodiversité
La variété de vie dans un habitat, dont un haut niveau est généralement souhaitable.

Abondance
L’importance quantitative d’une espèce ou d’une population dans un écosystème. Par exemple, le nombre d’individus dans une zone donnée.

Biomasse
La masse d’un organisme ou d’une population d’organismes dans une zone ou un écosystème.

 

ARTICLE SOURCE ORIGINAL

F. Ashwood, E.I. Vanguelova, S. Benham, et K.R. Butt, 2019, « Developing a systematic sampling method for earthworms in and around deadwood », Forest Ecosystems, 6(1), pp. 1-12.

BIBLIOGRAPHIE

[1] P.F. Hendrix (1996), « Earthworms, biodiversity, and coarse woody debris in forest ecosystems of the southeastern U.S.A. », dans Proceedings of the Workshop on Coarse Woody Debris in Southern Forests: Effects on Biodiversity, Athens, Géorgie, pp. 43-48.

[2] M.B. Bouché (1977), « Stratégies lombriciennes », dans U. Lohm, T. Person (éd.), Organisms as components of ecosystems, Ecological Bulletin, Stockholm, pp. 122–132.

[3] M. Cálix, K.N.A. Alexander, A. Nieto, B. Dodelin, F. Soldati, D. Telnov, X. Vazquez-Albalate, O. Aleksandrowicz, P. Audisio, P. Istrate (2018), « European red list of saproxylic beetles », UICN, Bruxelles.

[4] E. Sherlock (2018), Key to the Earthworms of the UK and Ireland, 2de edition, Field Studies Council, Telford.

 

ÉDITÉ PAR : Malte Jochum, German Centre for Integrative Biodiversity Research (iDiv), Germany

CITATION : Ashwood F, Vanguelova EI, Benham S and Butt KR (2020) Looking for Earthworms in Deadwood. Front. Young Minds 8:547465. Doi: 10.3389/frym.2020.547465

CONFLIT D’INTÉRÊTS : les auteurs déclarent que la recherche a été menée en l’absence de toute relation commerciale ou financière qui pourrait être interprétée comme un conflit d’intérêts.

COPYRIGHT © 2020 Ashwood, Vanguelova, Benham et Butt. Cet article en libre accès est diffusé selon les conditions de la licence d’attribution Creative Commons (CC BY). L’utilisation, la diffusion ou la reproduction dans d’autres tribunes est permise sous réserve d’une mention des auteurs originaux et des détenteurs du copyright ainsi que d’une citation de la publication originale dans cette revue, conformément aux pratiques académiques communément admises. Toute utilisation, distribution ou reproduction ne respectant pas ces conditions est prohibée. 

 

JEUNE RELECTRICE

MARIA, 14 ANS
Bonjour, je m’appelle Maria et je viens de Pologne. Je suis passionnée de biologie, et j’aime particulièrement les travaux de génétique et de métabolisme cellulaire. Dans mon temps libre, j’aime lire des livres et jouer avec mon chat Roxi. Je suis fan de danse classique. Je m’entraîne régulièrement au conservatoire de danse. J’adore ça !

AUTEURS

FRANK ASHWOOD
Ma passion pour la nature m’a poussé à étudier la biologie à l’université, où j’ai pris part, en tant que bénévole, à des projets de recherche sur l’écologie des invertébrés se déroulant en Écosse et au Mexique. Après avoir travaillé comme consultant en environnement pendant des années, je suis retourné à la fac pour faire une thèse sur les vers de terre issus des sites réhabilités d’anciennes décharges. J’occupe aujourd’hui un poste génial d’écologiste des sols auprès de Forest Research, où j’étudie la biodiversité des sols des zones forestières du Royaume-Uni. Dans mon temps libre, je fais du tutorat en biologie des sols ainsi que de la macrophotographie (c’est-à-dire que je photographie des animaux minuscules vivant dans le sol). *francis.ashwood@forestresearch.gov.uk

ELENA I. VANGUELOVA
J’ai toujours aimé les activités en extérieur : enfant, je passais beaucoup de temps dans les montagnes bulgares. À l’université, j’ai étudié l’ingénierie forestière, mais c’est ma thèse sur les effets de la pollution atmosphérique sur les écosystèmes forestiers qui m’a le plus apporté. Par la suite, j’ai réalisé que ce qui me plaisait vraiment, c’était la dimension environnementale de la forêt et des sols. Je travaille pour Forest Research en tant que biogéochimiste (un mélange de biologie, de géologie et de chimie), et j’étudie les conséquences du boisement, de la gestion forestière et des changements environnementaux sur la biogéochimie des sols forestiers.

SUE BENHAM
J’ai toujours aimé la nature. J’ai passé mon enfance à grimper aux arbres et à observer le monde de la nature dans les bois entourant ma maison. Aujourd’hui, en tant que chercheuse auprès de Forest Research, je suis payée pour faire cela ! Je passe mon temps à chercher à comprendre la croissance de nos forêts et les effets du changement climatique sur leur état. Pour cela, j’étudie tous les aspects de l’environnement d’un arbre, du sol autour de ses racines jusqu’à l’air autour de ses feuilles, ainsi que les animaux qui en dépendent.

KEVIN R. BUTT
Kevin est écologiste à l’Université du Lancashire central. Il étudie les vers de terre depuis plus de 30 ans et s’intéresse à la façon dont ces ingénieurs des écosystèmes aident les êtres humains à travers leurs activités quotidiennes, notamment en creusant des galeries et en mangeant de la matière organique. Il étudie les vers de terre en Grande-Bretagne et effectue des recherches en Europe et aux États-Unis. L’un de ses projets actuels porte sur l’étude de l’action des vers de terre sur la propriété de Charles Darwin, et consiste à refaire les expériences de ce grand scientifique. En parallèle, il étudie les vers de pluie géants des montagnes allemandes.

TRADUCTRICE

JULIE DELAUNAY

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