German Centre for Integrative Biodiversity Research (iDiv)
Halle-Jena-Leipzig
 
10.05.2021 | Français

Les vers de terre du monde

(left) Scherotheca gigas is an earthworm often found in France and Spain (Photo: Iñigo Virto). (right) Aporrectodea smaragdina is found in the Alps and eastern Europe (Photo: Michael Steinwandter).

Figure 1: Il existe 7 000 espèces de vers de terre sur Terre [1] et leur apparence peut varier considérablement. (A) Scherotheca gigas est un vers de terre que l'on trouve souvent en France et en Espagne (photographie par Iñigo Virto). (B) Aporrectodea smaragdina se trouve dans les Alpes et en Europe de l'Est (photographie par Michael Steinwandter).

Figure 2: Le nombre d'espèces de vers de terre dans le monde, créé grâce à notre modèle. Au total, 180 chercheurs nous ont fourni des données venant de plus de 9 000 recensements. Ces données ont été associées à des données sur l'environnement, comme le pH, pour que nous puissions prédire le nombre d'espèces de vers de terre dans le monde entier, même lorsque nous n'y avons pas fait de recensement. Habituellement, le nombre d'espèces varie entre 1 (les zones en violet foncé) et 4 (les zones en jaune clair), mais les zones dans les régions tempérées, comme en Europe, comptent le plus grand nombre d'espèces de vers de terre (que l'on peut voir dans les nuances de jaune).

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Helen R. P. Phillips 1,2,3*, Erin K. Cameron 3 et Nico Eisenhauer 1,2

1 Écologie des interactions expérimentales, Centre allemand de recherche intégrative sur la biodiversité (iDiv), Halle-Iéna-Leipzig, Leipzig, Allemagne
2 Institut de biologie, Université de Leipzig, Leipzig, Allemagne
3 Département des sciences environnementales, Université Saint Mary’s, Halifax, Nouvelle-Écosse, Canada

Depuis plusieurs décennies, les scientifiques savent où trouver la majorité des espèces vivant à la surface du sol. Ils ont ainsi pu créer des cartes du monde pour illustrer cette répartition. Pour une grande partie des groupes vivant en surface, le plus grand nombre d’espèces se trouve au niveau des tropiques et ce nombre diminue à mesure qu’on se rapproche des pôles. Jusque récemment, nous ne comprenions toutefois pas cette répartition mondiale pour de nombreux organismes souterrains. Nous avons décidé de créer des cartes mondiales répertoriant la diversité des espèces de vers de terre. Les vers de terre rendent aux humains de nombreux services, notamment en déplaçant la terre et en améliorant sa qualité, ce qui peut permettre d’optimiser la quantité des cultures. Si nous voulons protéger les vers de terre et les services qu’ils nous rendent, les cartes mondiales les répertoriant sont primordiales, car nous devons comprendre où ils se trouvent et les raisons de leur présence.

CARTOGRAPHIE DE LA FAUNE MONDIALE

Notre planète compte près de 150 millions de kilomètres carrés de terre. Cette surface est si grande qu’elle est difficile à imaginer. Avec autant de terre, comment savoir où se trouvent les animaux et combien ils sont ? Et pourquoi chercher à connaître leur nombre et leur répartition dans le monde ? À titre d’exemple, cela pourrait nous servir à déterminer des endroits où créer des réserves naturelles pour protéger la plupart des espèces. Ou nous nous intéressons peut-être simplement à la répartition générale de la faune et la flore et souhaitons découvrir si cette répartition est constante chez un grand nombre d’espèces différentes. Par exemple, les forêts tropicales sont connues pour héberger de nombreuses espèces d’oiseaux différentes, mais est-ce aussi le cas pour d’autres animaux ?

Pour en savoir plus sur le nombre d’animaux, les scientifiques (mais aussi d’autres personnes) réalisent généralement des recensements. Un recensement consiste tout simplement à compter le nombre d’espèces (ou nombre d’individus présents) en employant une technique adaptée à ces espèces. Par exemple, si nous voulons recenser les papillons, nous utilisons un filet pour tenter de capturer le plus de papillons possible au moyen de méthodes constantes, en traitant une zone en particulier pendant une durée déterminée. Les recensements prennent du temps cependant, et ils peuvent également être coûteux. Par ailleurs, il est impossible d’effectuer un recensement à chaque endroit de la planète. Alors, comment connaître le nombre d’animaux dans le monde ?

En utilisant les mathématiques ! Plus précisément, on peut utiliser ce que les scientifiques appellent des modèles statistiques, ou modèles tout court pour faire simple. Depuis plusieurs décennies, les scientifiques créent des modèles permettant d’estimer le nombre d’oiseaux, de plantes et d’autres espèces vivant à la surface de l’ensemble de la planète.

Malheureusement, cette méthode n’a jamais été employée pour la plupart des organismes présents sous nos pieds. C’est pourquoi nous avons décidé de créer un modèle pour les vers de terre. Les vers de terre sont particulièrement intéressants. Ces organismes rendent aux humains de nombreux services écosystémiques [1]. Ils contribuent à la décomposition des feuilles mortes et permettent ainsi aux nutriments de retourner à la terre, ils favorisent la croissance de nos cultures et ils participent au maintien du climat dont nous avons besoin. Les vers de terre sont également des organismes souterrains faciles à recenser, puisque nous pouvons les voir ! Qui plus est, une grande quantité d’informations est disponible à leur sujet.

COMMENT AVONS-NOUS PROCÉDÉ POUR COMPRENDRE LA RÉPARTITION MONDIALE DES VERS DE TERRE ?

Pour créer un modèle permettant d’estimer le nombre de vers de terre dans le monde [2], nous avons besoin de données, en particulier à propos des vers de terre. Ces données se composent du nombre d’espèces de vers de terre, relevé au moyen de recensements. Même s’il est impossible pour une seule personne d’effectuer des recensements partout, nous devons réunir le plus de recensements possible à travers le monde. C’est pourquoi nous avons demandé à un grand nombre d’autres scientifiques de nous envoyer les données de leurs recensements. Ces personnes étaient des scientifiques spécialisés dans les vers de terre que nous connaissions ou qui avaient déjà publié les résultats de leurs recensements dans des revues scientifiques. Nous n’avions aucun doute quant à la fiabilité de leurs données, en particulier celles ayant déjà été analysées et publiées. Lorsque les scientifiques publient des articles, leurs données sont toujours vérifiées et critiquées par d’autres scientifiques. Les recensements sont généralement effectués à l’aide de méthodes différentes, mais de nombreux scientifiques creusent simplement un trou dans le sol, y recherchent des vers de terre et comptent le nombre d’espèces qu’ils y trouvent. Au total, nous avons rassemblé les données de 180 chercheurs à travers le monde, soit un peu plus de 9 000 recensements de vers de terre.

Le nombre d’espèces de vers de terre que les scientifiques ont relevé dans leurs recensements allait de zéro pour plusieurs d’entre eux à 12 pour un autre. Nous avions également besoin de renseignements sur le climat (par exemple, la température et les précipitations) et sur le sol (comme son pH) à l’endroit de chaque recensement. Nous nous sommes procuré ce type d’informations auprès de bases de données en libre accès.

En fin de compte, les modèles utilisent un certain facteur (comme le climat et le pH des sols) pour estimer le nombre d’espèces de vers de terre présentes dans une zone. Voici un exemple pour bien comprendre le fonctionnement des modèles : nous effectuons des relevés sur un grand nombre de plages et demandons aux glaciers combien de cônes de crème glacée ils ont vendus. Nous recherchons ensuite des informations sur la température moyenne sur chaque plage. Nous pouvons alors créer un modèle montrant en quoi la température affecte le nombre de cônes de crème glacée vendus sur chaque plage. Comme on peut s’en douter, plus la température est élevée, plus le nombre de cônes vendus l’est également. Grâce à ce modèle, nous pouvons ensuite estimer le nombre de crèmes glacées qui seront vendues, quelle que soit la température, ce qui nous donne une idée des ventes de cônes sur les plages où nous ne pouvons pas réaliser de relevés. Nous pouvons procéder de façon similaire pour les vers de terre afin de déterminer comment le nombre d’espèces relevées dans un recensement change en fonction d’un facteur environnemental comme la température.

Notre modèle pour les vers de terre contient de nombreux détails sur l’environnement (12 aspects au total), mais le principe de base reste le même. Ces 12 aspects comprennent notamment des informations à propos du sol, du type de végétation recouvrant le sol et du climat. Grâce à notre modèle, nous avons ensuite estimé le nombre d’espèces de vers de terre présentes à tous les endroits du monde et dressé une carte (Figure 2).

 

CE QUE NOUS AVONS DÉCOUVERT SUR LES VERS DE TERRE

Comme nous l'avons mentionné au début de cet article, nous nous attendions à trouver le plus grand nombre d'espèces dans les tropiques. Parce que, typiquement, nous trouvons plus d'espèces dans les endroits avec des températures élevées. Ce que notre carte montre, c'est que ce n'est pas le cas chez les vers de terre. Notre modèle indique que si vous deviez faire un recensement dans une région tropicale et dans une région tempérée, vous trouveriez plus d'espèces de vers de terre dans la région tempérée.

Pourquoi donc ? Il existe nombre de caractéristiques de l'environnement qui influent sur le nombre d'espèces trouvé dans un recensement. Et même si le sol est important, nous avons constaté que le climat (par exemple la température et la pluviométrie) est le facteur le plus important pour déterminer le nombre d'espèces. Puisque les vers de terre préfèrent vivre dans un environnement humide et chaud, les régions tempérées leur conviennent bien mieux. Il y a plus d'espèces de vers de terre là où les conditions environnementales sont idéales. Tant que l'environnement n'est pas extrême, trop sec, trop humide, trop chaud, trop froid, il y a de fortes chances pour qu'il y ait des vers de terre. Certaines espèces peuvent aimer des conditions légèrement différentes de celles appréciées par la majorité des vers de terre. Ou bien, certaines espèces peuvent tolérer de vivre dans des régions aux conditions peu idéales, car il existe moins d'espèces pour se disputer la nourriture par exemple, mais les scientifiques n'ont pas fini d'étudier ce phénomène.

LE MODÈLE DES VERS DE TERRE POUR AIDER LES EFFORTS DE PRÉSERVATION

Les vers de terre sont vraiment importants pour beaucoup de services écosystémiques nécessaires aux humains, comme l'augmentation de la production de nourriture. Grâce à nos nouvelles connaissances, nous espérons que les scientifiques et les écologistes penseront aux vers de terre en créant des réserves naturelles. Habituellement, les réserves naturelles sont définies selon le nombre d'espèces de plantes ou d'organismes au-dessus du sol. Cependant, puisque la majorité des espèces de vers de terre n'existent pas dans les tropiques (contrairement aux animaux et aux plantes au-dessus du sol), nous devons réfléchir aux vers de terre et aux autres organismes souterrains à part et éventuellement définir des réserves naturelles uniquement pour eux.

De plus, puisque nous avons découvert que le climat est la caractéristique environnementale principale en corrélation avec le nombre de vers de terre, le dérèglement climatique est inquiétant. Nos futures recherches viseront à déterminer comment le nombre de vers de terre change selon le dérèglement climatique, puisque certaines espèces pourraient réagir positivement alors que d'autres non. Nous devons comprendre l'influence du dérèglement climatique sur les vers de terre et les organismes souterrains pour pouvoir nous préparer à protéger ces précieux organismes dans le futur.

GLOSSAIRE

Réserves naturelles
Zone où les animaux, les plantes et l'environnement sont protégés.

Recensement
Fait de compter le nombre d'espèces (ou le nombre d'individus présent) en utilisant une technique adaptée à ces espèces.

Modèles statistiques
Le processus consistant à utiliser des facteurs connus (comme la température) pour prédire un facteur que nous ne pourrons peut-être pas mesurer (comme le nombre d'espèces de vers de terre).

Services écosystémiques
Les bénéfices fournis par l'environnement naturel et ses organismes aux humains. Les services écosystémiques incluent l'augmentation de la production de nourriture, la décomposition des feuilles mortes et l'aide à maintenir notre climat de la façon dont nous en avons besoin.

pH
L'échelle utilisée pour définir si quelque chose est acide (comme le jus de citron) ou alcalin (comme le bicarbonate de soude).

Région tempérée
Les latitudes du centre de la Terre, entre les tropiques et les régions polaires. Les régions tempérées possèdent habituellement des saisons plus distinctes (printemps, été, automne et hiver) que les régions tropicales.

 

ARTICLE D'ORIGINE

Phillips, H. R. P., Guerra, C. A., Bartz,M. L. C., Briones,M. J. I., Brown, G., Crowther, T. W., et al. 2019. Global distribution of earthworm diversity. Science 366:480–5. doi: 10.1101/587394

SOURCES

[1] Orgiazzi, A., Bardgett, R. D., Barrios, E., Behan-Pelletier, V., Briones, M. J. I., Chotte, J. L., et al. 2016. Global Soil Biodiversity Atlas. Luxembourg: Publications Office of the European Union. doi: 10.2788/2613

[2] Phillips, H. R. P., Guerra, C. A., Bartz, M. L. C., Briones, M. J. I., Brown, G., Crowther, T. W., et al. 2019. Global distribution of earthworm diversity. Science 366:480–5. doi: 10.1101/587394

 

MODIFICATION: Vishal Shah, West Chester University, United States

SOURCE DE L'ARTICLE: Phillips HRP, Cameron EK and Eisenhauer N (2021) Earthworms of the World. Front. Young Minds 9:547660. doi: 10.3389/frym.2021.547660

CONFLITS D'INTÉRÊTS: Les auteurs déclarent que leurs recherches ont été effectuées en l'absence de relations commerciales ou financières pouvant être interprétées comme constituant un conflit d'intérêts potentiel.

CONTRIBUTION DES AUTEURS: Le manuscrit a été rédigé par Helen Phillips avec l’aide d’Erin Cameron et de Nico Eisenhauer.

COPYRIGHT © 2021 Phillips, Cameron et Eisenhauer. Cet article en accès libre est diffusé conformément aux conditions de la licence Attribution Creative Commons (CC BY). L’utilisation, la diffusion ou la reproduction sur d’autres forums est autorisée, sous réserve que l’auteur ou les auteurs originaux et le ou les titulaires des droits d’auteur soient crédités et que la publication d’origine dans ce journal soit citée, conformément aux pratiques universitaires reconnues. Aucune utilisation, diffusion ou reproduction n’est autorisée autrement qu’en conformité avec ces conditions.

 

JEUNES RELECTEURS

ANNA-MARIE, 16 ANS
Ma matière préférée est la biologie, j'aime la bionique. Plus tard, j’aimerais travailler sur de nouveaux matériaux, de nouvelles substances. Je suis fascinée par les mystères de l’univers, il y a tellement à découvrir.

KAYTLIN, 14 ANS
Je suis une élève de 3e qui aime voyager et découvrir différentes cultures et de nouvelles choses. Pendant mon temps libre, j’aime lire, pratiquer les arts martiaux, apprendre le japonais toute seule ou laisser libre cours à ma créativité en écrivant des histoires, en dessinant ou en prenant des photos.

AUTEURS

HELEN R. P. PHILLIPS
Helen a toujours aimé les animaux, mais pas la recherche sur le terrain. Elle a continué à en apprendre plus sur l'écologie jusqu'à se rendre compte qu'utiliser de grosses bases de données et du travail sur ordinateur, comme la programmation, était ce qu'elle aimait. Depuis, Helen se concentre sur les ensembles de données mondiales sur la biodiversité, les utilisant pour enquêter sur la localisation de la biodiversité dans le monde et sur la façon dont les activités humaines peuvent influencer la répartition mondiale. Ses travaux récents impliquent les vers de terre et d'autres organismes souterrains. Lorsqu'elle ne travaille pas, Helen aime jouer à des jeux vidéo et de société, coudre, faire de la musique et s'amuser avec son lapin de compagnie. *helen.phillips@smu.ca

ERIN K. CAMERON
Erin adorait jouer dehors lorsqu'elle était petite et aimait les sciences, mais ne voulait pas devenir biologiste. Finalement, elle a commencé dans la recherche en examinant comment les activités humaines touchent les oiseaux chanteurs et a trouvé cela fascinant. Après avoir commencé à travailler sur les organismes souterrains et constaté à quel point nous en savions peu à leur sujet, elle a su qu'elle voulait étudier l'écologie. Elle enquête maintenant sur les influences de l'activité humaine sur la biodiversité des sols et le fonctionnement des écosystèmes. Elle adore pratiquer le ski de fond, le vélo et le kayak pendant son temps libre.

NICO EISENHAUER
Nico s'intéresse à la nature depuis son enfance. Il creusait le sol pour trouver des vers de terre, attrapait des grenouilles et des poissons et aidait les lézards à survivre pendant l'hiver. Il a toujours été fasciné par la beauté de la nature et motivé par la question suivante : « Pourquoi est-ce qu'une plante ou un animal spécifique existe à un endroit et pas à un autre ? ». Pendant ses études de biologie, il a découvert son intérêt pour les vers de terre et leurs activités importantes, cruciales pour le fonctionnement des écosystèmes. Quand il ne travaille pas, Nico joue au football ou au badminton, il court et passe du temps avec sa famille et ses amis.

TRADUCTRICES

AUDREY LOSFELD DUTOIT
Audrey s’est toujours intéressée à la nature. Sa saison préférée est le printemps, quand tout est en fleur et paré de mille couleurs. Petite, elle adorait chercher les coccinelles et les escargots dans le jardin et regarder des reportages sur les animaux. Quand elle ne planche pas sur une traduction, elle aime jouer avec ses deux enfants de 1 et 3 ans (notamment à chercher les papillons et les coccinelles !), regarder des séries avec leur papa et cuisiner de bons petits plats pour toute la famille.

MAYRICE DELFORGE

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